书城公版Memoir of Fleeming Jenkin
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第56章 CHAPTER VI (13)

Chose singuliere! nous nous etions attaches l'un a l'autre par les sous-entendus bien plus que par la matiere de nos conversations. A vrai dire, nous etions presque toujours en discussion; et il nous arrivait de nous rire au nez l'un et l'autre pendant des heures, tant nous nous etonnions reciproquement de la diversite de nos points de vue. Je le trouvais si Anglais, et il me trouvais si Francais! Il etait si franchement revolte de certaines choses qu'il voyait chez nous, et je comprenais si mal certaines choses qui se passaient chez vous! Rien de plus interessant que ces contacts qui etaient des contrastes, et que ces rencontres d'idees qui etaient des choses; rien de si attachant que les echappees de coeur ou d'esprit auxquelles ces petits conflits donnaient a tout moment cours. C'est dans ces conditions que, pendant son sejour a Paris en 1878, je conduisis un peu partout mon nouvel ami. Nous all?mes chez Madame Edmond Adam, ou il vit passer beaucoup d'hommes politiques avec lesquels il causa. Mais c'est chez les ministres qu'il fut interesse. Le moment etait, d'ailleurs, curieux en France. Je me rappelle que, lorsque je le presentai au Ministre du Commerce, il fit cette spirituelle repartie: 'C'est la seconde fois que je viens en France sous la Republique. La premiere fois, c'etait en 1848, elle s'etait coiffee de travers: je suis bien heureux de saluer aujourd'hui votre excellence, quand elle a mis son chapeau droit.' Une fois je le menai voir couronner la Rosiere de Nanterre. Il y suivit les ceremonies civiles et religieuses; il y assista au banquet donne par le Maire; il y vit notre de Lesseps, auquel il porta un toast. Le soir, nous revinmes tard a Paris; il faisait chaud; nous etions un peu fatigues; nous entr?mes dans un des rares cafes encore ouverts. Il devint silencieux. - 'N'etes- vous pas content de votre journee?' lui dis-je. - 'O, si! mais je reflechis, et je me dis que vous etes un peuple gai - tous ces braves gens etaient gais aujourd'hui. C'est une vertu, la gaiete, et vous l'avez en France, cette vertu!' Il me disait cela melancoliquement; et c'etait la premiere fois que je lui entendais faire une louange adressee a la France. . . . Mais il ne faut pas que vous voyiez la une plainte de ma part. Je serais un ingrat si je me plaignais; car il me disait souvent: 'Quel bon Francais vous faites!' Et il m'aimait a cause de cela, quoiqu'il sembl?t n'ainier pas la France. C'etait la un trait de son originalite.

Il est vrai qu'il s'en tirait en disant que je ne ressemblai pas a mes compatriotes, ce a quoi il ne connaissait rien! - Tout cela etait fort curieux; car, moi-meme, je l'aimais quoiqu'il en e–t a mon pays!

En 1879 il amena son fils Austin a Paris. J'attirai celui-ci. Il dejeunait avec moi deux fois par semaine. Je lui montrai ce qu'etait l'intimite francaise en le tutoyant paternellement. Cela reserra beaucoup nos liens d'intimite avec Jenkin. . . . Je fis inviter mon ami au congres de l'ASSOCIATION FRANCAISE POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES, qui se tenait a Rheims en 1880. Il y vint. J'eus le plaisir de lui donner la parole dans la section du genie civil et militaire, que je presidais. II y fit une tres interessante communication, qui me montrait une fois de plus l'originalite de ses vaes et la s–rete de sa science. C'est a l'issue de ce congres que je passai lui faire visite a Rochefort, ou je le trouvai installe en famille et ou je presentai pour la premiere fois mes hommages a son eminente compagne. Je le vis la sous un jour nouveau et touchant pour moi. Madame Jenkin, qu'il entourait si galamment, et ses deux jeunes fils donnaient encore plus de relief a sa personne. J'emportai des quelques heures que je passai a cote de lui dans ce charmant paysage un souvenir emu.

J'etais alle en Angleterre en 1882 sans pouvoir gagner Edimbourg.

J'y retournai en 1883 avec la commission d'assainissement de la ville de Paris, dont je faisais partie. Jenkin me rejoignit. Je le fis entendre par mes collegues; car il etait fondateur d'une societe de salubrite. Il eut un grand succes parmi nous. Mais ce voyaye me restera toujours en memoire parce que c'est la que se fixa defenitivement notre forte amitie. Il m'invita un jour a diner a son club et au moment de me faire asseoir a cote de lui, il me retint et me dit: 'Je voudrais vous demander de m'accorder quelque chose. C'est mon sentiment que nos relations ne peuvent pas se bien continuer si vous ne me donnez pas la permission de vous tutoyer. Voulez-vous que nous nous tutoyions?' Je lui pris les mains et je lui dis qu'une pareille proposition venant d'un Anglais, et d'un Anglais de sa haute distinction, c'etait une victoire, dont je serais fier toute ma vie. Et nous commencions a user de cette nouvelle forme dans nos rapports. Vous savez avec quelle finesse il parlait le francais: comme il en connaissait tous les tours, comme il jouait avec ses difficultes, et meme avec ses petites gamineries. Je crois qu'il a ete heureux de pratiquer avec moi ce tutoiement, qui ne s'adapte pas a l'anglais, et qui est si francais. Je ne puis vous peindre l'etendue et la variete de nos conversations de la soiree. Mais ce que je puis vous dire, c'est que, sous la caresse du TU, nos idees se sont elevees. Nous avions toujours beaucoup ri ensemble; mais nous n'avions jamais laisse des banalites s'introduire dans nos echanges de pensees. Ce soir-la, notre horizon intellectual s'est elargie, et nous y avons pousse des reconnaissances profondes et lointaines. Apres avoir vivement cause a table, nous avons longuement cause au salon; et nous nous separions le soir a Trafalgar Square, apres avoir longe les trotters, stationne aux coins des rues et deux fois rebrousse chemie en nous reconduisant l'un l'autre. Il etait pres d'une heure du matin! Mais quelle belle passe d'argumentation, quels beaux echanges de sentiments, quelles fortes confidences patriotiques nous avions fournies! J'ai compris ce soir la que Jenkin ne detestait pas la France, et je lui serrai fort les mains en l'embrassant. Nous nous quittions aussi amis qu'on puisse l'etre; et notre affection s'etait par lui etendue et comprise dans un TU francais.